TROPIQUE DE LA VIOLENCE de Nathacha Appanah

Le Tropique, c’est celui de l’Archipel des Comores, de Mayotte ; la violence c’est celle du roman de Nathacha Appanah, de son histoire et de ses personnages. Certes, l’île hippocampe fait souvent rêver avec son lagon, le plus beau du monde, ses plages aux sables de différentes couleurs ; et Marie, un des cinq personnages principaux, a profondément aimé cette île, son odeur, ses habitants, les enfants qui s’élancent dans l’océan, le ciel nocturne aux centaines d’étoiles, le battement des ailes de roussettes … pourtant, Mayotte, même si on ne peut échapper à cette beauté, est aussi le théâtre d’une grande pauvreté où il « suffira d’un rien pour qu’il s’embrase ». Mayotte, département d’Outremer oublié? Mayotte, l’île des enfants perdus? Ils sont des milliers, abandonnés par leurs parents clandestins, vivant sans foi ni loi.
La construction du roman, à plusieurs voix, évoque la tragédie grecque ; les personnages monologuent mais semblent se répondre ; le lecteur entre alors dans la logique de chacun et découvre une cruelle réalité : Marie, infirmière française, s’est mariée à Cham, originaire de Mayotte, puis délaissée par celui-ci et en mal d’enfant, elle recueille le bébé abandonné par sa jeune mère parce qu’il a un oeil noir et un oeil vert ; enfant du djinn? enfant maudit? Elle l’aime tendrement, le prénomme Moïse, le protège et l’éduque comme un Français mais lorsqu’il apprend la vérité sur son origine, sa vie bascule et il perd tout à fait pied lorsque Marie disparaît brutalement. Bruce, vrai Mahorais comme il l’affirme, est un adolescent plein de colère, chef des voyous du bidonville surnommé Gaza, il mène la troupe, il a su sortir les griffes quand il le fallait et se fait respecter. Olivier, le flic qui depuis longtemps s’émerveille devant son jardin luxurieux et la nature mahoraise, se demande à un moment si ce jardin n’est pas une « imposture, un cliché, une carte postale ». Stéphane, qui est venu ouvrir une maison pour les jeunes de Kawani, puise son énergie dans le « paysage magnifique et irréel » de la baie de Mamoudzou mais la colère, la fange, la violence vont également le rattraper. Lucides, tous finissent par perdre leurs illusions.
Roman coup de poing, roman témoignage … il ne peut laisser insensible.