Je ne connaissais pas la vie de Gabriëlle avant la lecture du roman éponyme offert par une amie. Quelle découverte! Anne et Claire Berest reconstituent la vie de leur arrière grand-mère, Gabriëlle Buffet, née en 1881 et décédée à l’âge de 104 ans et retracent un destin hors du commun à grand renfort de témoignages et de documents. Jeune femme indépendante et libre – voire révoltée – elle fuit les conventions et l’avenir tout tracé d’une jeune fille du 19ème siècle. Sa vie, c’est la musique, la composition, même! Mais il n’est pas facile à cette époque, même pour une jeune fille brillante, de suivre des études musicales, d’intégrer une école prestigieuse et d’étudier à l’étranger. Néanmoins,  de la Schola Cantorum, en France, aux cours de Ferrucio Busoni à Berlin, Gabriëlle, déterminée et passionnée, se forme et, stimulée par les rencontres et discussions avec des  musiciens d’avant-garde, cherche à inventer un autre univers musical. Pourtant, l’indépendante jeune fille, que les hommes n’intéressent pas, va tirer un trait sur son destin de musicienne ; elle rencontre Francis Picabia, peintre connu, homme passionné par les voitures, les fêtes et les femmes ; c’est le coup de foudre intellectuel ; Francis est galvanisé par l’intelligence de la jeune fille ; ensemble ils se grisent dans des discussions enflammées sur l’art, sur la possibilité de révolutionner la peinture ;  Gabriëlle à qui on n’impose jamais rien accepte de se marier avec le peintre, de devenir son guide, son inspiratrice. Commence alors une vie tumultueuse : voyages, créations (Picabia « peint comme il respire », Gabriëlle l’inspire), salons, expositions, tourbillons de rencontres, séjours entre amis, périodes de doute, séparations, réconciliations …

 Ce n’est pas une hagiographie que nous donnent à lire Anne et Claire Berest mais un récit biographique captivant et émouvant dans lequel elles s’interrogent sur la vie hors-norme d’une figure féministe, inspiratrice de plusieurs grands artistes sans cacher quelques zones d’ombre. La lecture de cet ouvrage plonge aussi le lecteur dans un voyage dans le XIXème siècle et l’art (l’abstraction, le cubisme, l’orphisme) et lui permet de croiser Claude Debussy, Edgar Varèse, Marcel Duchamp, Guillaume Apollinaire et bien d’autres personnalités.