SERGE de YASMINA REZA

Serge est le frère de Jean ; Jean est l’aîné de la famille Popper et aussi le narrateur. Ils ont une soeur, Nana. Leurs parents sont décédés et la disparition de leur mère semble avoir déstabilisé la fratrie à l’entente déjà assez fragile; Jean se demande d’ailleurs ce qui peut bien les rapprocher. Parfois sans concession, parfois avec tendresse et humour, il fait le portrait des membres de la famille,  raconte quelques épisodes familiaux, des déjeuners dominicaux (« où personne est à son best »), des disputes, quelques souvenirs d’enfance et surtout un voyage à Auschwitz, voulu par Joséphine, la fille de Serge ; depuis la mort de sa grand-mère, elle veut effectuer ce devoir de mémoire – avec son père, sa tante et son oncle. Un séjour et des visites difficiles! Non seulement en raison du destin tragique de millions de morts mais aussi de la difficulté de la fratrie pour ne pas se disputer, pour ne pas rater l’occasion de se retrouver et d’être sur la même longueur d’ondes pour rendre hommage à leurs ancêtres.  « L’idée maîtresse de ce périple – je peine encore à me l’approprier – était, pour le dire avec la componction de notre époque, d’aller sur la tombe de nos parents hongrois. Gens que nous n’avions à ce jour jamais connus, dont nous n’avions à ce jour jamais entendu parler et dont le malheur ne semblait pas avoir bouleversé la vie de notre mère. Mais c’était notre famille, ils étaient morts parce que juifs, ils avaient connu le sort funeste d’un peuple dont nous portions l’héritage et dans un monde ivre du mot mémoire il paraissait déshonorable de s’en laver les mains. C’est en tout cas comme ça que je comprenais l’implication fiévreuse de ma nièce Joséphine. »  Serge, le frère hypocondriaque, agaçant mais parfois aussi attendrissant, fait preuve de mauvaise volonté, traîne les pieds dans les allées du camp, semble à peine remué par l’horreur historique tant il est préoccupé par sa propre personne,  son mal-être (ses vies de couple ratées, ses déboires professionnels, ses angoisses).

Ce roman enchaîne les situations cocasses et des dialogues souvent drôles malgré des sujets sérieux, entre autres les rapports familiaux, le vieillissement, le tourisme de masse, la différence.

Un autre petit extrait (Jean emmène Luc, le fils de son ex, Marion, à la piscine): « Je passe sous la douche d’où j’aperçois Luc barboter avec ses ailerons dans le pédiluve. Qu’est-ce qu’il fabrique dans cette cuve pleine de champignons et de miasmes?! … J’en extirpe le gosse qui veut y rester. Pour lui c’est une piscine, pour moi c’est le Gange… Il a neuf ans, les enfants nagent à son âge. Je lui montre la prière, sous-marin, avion, mais il s’en fout, il veut jouer. Il va partout, il se jette, il saute, il se noie à moitié. Je le ressors, il a l’air d’un rat avec sa dent de travers. Il rit. Il a constamment la bouche ouverte. Je lui fais des signes pour qu’il la ferme quand il est loin de moi. Il m’imite pour me faire plaisir, plisse les yeux, verrouille ses lèvres l’une contre l’autre et repart la gueule béante… J’aime bien ce gosse. Il est plus intéressant que les autres. Pendant un temps il me voyait dans le lit de sa mère. Je garde un lien avec Marion pour ne pas le perdre lui… »