Le Village de l’Allemand

Impossible de rester insensible à la lecture du roman rageur de Boualem Sansal ! Le « village », Aïn Deb, près de Sétif, c’est celui de Hans Schiller ; c’est là que l’Allemand vient se retirer, vivre, se marier avec une Algérienne, qu’il fonde une famille ; durant trente ans, Hassan Hans (son surnom), dit Hassan Si Mourad, est respecté par les habitants pour qui il est devenu un cheikh. Ses fils, Rachel (Rachid Helmit) et Malrich (Malek Ulrich) sont envoyés en France pour y être scolarisés ; ils sont hébergés par le brave « tonton » Ali. Pour Rachel : intégration réussie (diplômes, emploi dans une multinationale, naturalisation, mariage heureux, « pavillon fleuri »…) ; pour Malrich, c’est la cité, »l’ennui, la chape de plomb… ». Les deux frères, qui revoient rarement leur mère et jamais leur père, se connaissent peu . Le drame qui va entraîner les suivants, a lieu le 25 avril 1994 : une tuerie de plus dans l’Algérie en guerre ; les habitants de Aïn Deb sont massacrés par le GIA, dont Hans et Aïcha, les parents des deux frères immigrés. A partir de ce jour-là, Rachel, ne vivra plus en paix : du choc au désespoir, de l’ incompréhension à la révolte, du travail de deuil au travail de mémoire, il n’aura pas de cesse qu’il enquête, cherche des réponses à ses multiples questions concernant le passé terrible de son père qu’il découvre dans des papiers personnels, des livres, des documents et lors de voyages à travers l’Europe et en Algérie ; l’épreuve est si terrible qu’elle le dévaste et une fois sa quête accomplie, il se suicide. Le journal qu’il a écrit revient alors au petit frère, dont la lecture provoque chez lui un véritable électrochoc ; sa vie insouciante d’enfant de la cité qui ignore tout du passé paternel et de l’Histoire, devient un »état de crise permanente, quelque chose entre folie, rage… »; à son tour, il se documente, découvre les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, du nazisme, de la Guerre d’Algérie; il réfléchit, prend conscience du danger de tous les fanatismes, à commencer par l’islamisme qui gagne du terrain dans sa cité. Et, lui aussi, écrit alors son journal, un premier pas pour DIRE LA VÉRITÉ.

Style réfléchi et désespéré du journal de Rachel, langage familier et révolté de celui de Malrich : LE VILLAGE DE L’ALLEMAND captive et bouleverse et propose une réflexion non seulement sur un sujet brûlant – l’embrigadement- mais aussi sur des questions essentielles : l’identité,  le sentiment de culpabilité, la religion, le culte du héros, le fanatisme et la vérité. Malrich tire cette leçon de son traumatisme :  » … la vérité est la vérité, elle doit être sue. Comme le dit ton poète Primo Levi, il faut tout dire aux enfants… tout dire aux copains… Je procèderai par étapes, j’ai trop souffert de tout apprendre d’un coup. » Dire la vérité, c’est ce que fait Boualem Sansal depuis toujours, au risque d’être limogé (en 2003, de son poste de haut fonctionnaire au Ministère de l’Industrie algérien).

Cécile