IMPOSSIBLE de ERRI DE LUCCA

IMPOSSIBLE est le dernier roman de l’auteur italien dans lequel le lecteur entre in medias res, si l’on peut dire car d’action il ne s’agit pas vraiment dans ce livre. Un jeune magistrat interroge un homme d’un certain âge et l’échange a déjà commencé lorsque le lecteur entame sa lecture. Le juge l’accuse d’avoir poussé dans le vide un autre homme qui le précédait sur un sentier dangereux des Dolomites ; pure coïncidence affirme le suspect, alpiniste chevronné, et, surtout, ancien révolutionnaire, trahi quarante ans auparavant, ainsi que ses compagnons, par l’homme tombé dans le ravin. Hasard « impossible » pour le juge d’instruction qui a fouillé dans les moindres recoins de la vie du suspect, de son ancien compagnon de lutte et du groupe révolutionnaire dont ils ont fait partie. L’interrogatoire se poursuit sur six chapitres qui alternent avec les lettres que le prévenu écrit – mais n’envoie pas –  à la femme aimée ; il se présente réellement – notamment par la typographie – comme un procès verbal ; pourtant nul ennui dans cette lecture ; bien au contraire, l’échange devient plus passionnant à chaque rencontre ; des questions-réponses concernant les circonstances de la mort de la victime, les rapports entre les deux révolutionnaires, le comportement des alpinistes confirmés lors de passages dangereux en montagne, le motif qui aurait pu pousser au crime, on passe subrepticement à un débat philosophique, une sorte de « dialogue de Socrate » sur l’engagement politique, l’amitié, la trahison, la justice et même l’alpinisme.

On prend plaisir à lire ces échanges écrits dans une langue limpide dans lesquels les deux hommes, si différents, tiennent à faire comprendre leurs convictions et leurs valeurs ; et, même si on peut noter une attitude de défi parfois dans leurs propos, le respect et l’admiration ne sont pas absents. Le septuagénaire ne craint pas de souligner au juge sa jeunesse et son inexpérience comprenant en même temps sa rigueur, sa dévotion pour la justice, sa volonté de comprendre ; le magistrat, lui, pas à un stratagème prêt, tente jusqu’au bout de faire avouer l’inculpé tout en restant étonné voire épaté par la détermination, la loyauté du vieil homme qui ne baisse la garde, ne trébuche jamais.

« Q.   Aujourd’hui, vous vous sentez comme un homme isolé dans cette époque et dans cette société. Vous allez en montagne pour approfondir le vide et la distance. Aujourd’hui, vous êtes une sorte d’ascète laïc, vous vous retirez dans un espace désert pour ne pas partager le présent. Mais votre passé est resté indemne et rien n’empêche un ascète de commettre un crime. D’accord, vous ne ressentez pas de haine. Cela signifie que vous pouvez avoir agi sans cette impulsion, de sang-froid. Vous vous êtes peut-être croisés par hasard dans le même lieu de villégiature, ce qui a fait naître une occasion de vengeance.

R.  Vous vous trompez sur le passé, il ne reste pas intact. Le temps est une lèpre qui le fait tomber par petits bouts. De sang-froid, je peux vous dire que vous vous égarez et que vos hypothèses ont un besoin urgent de vérification.

Q.   C’est possible, mais dans mes enquêtes les digressions sont utiles. Elles font connaître les caractères , ressortir des détails intéressants… »